Avis :
Ceci est une chronique « coup de gueule ». Je n’arrive pas à écrire cette chronique sans tout déverser. J’ai besoin d’extérioriser, d’en parler avec d’autres qui ont lu le roman. Elle va donc, une fois n’est pas coutume, contenir quelques spoilers.
L’année de grâce fut une déception. Je m’attendais à un roman révolutionnaire, féministe, engagé. Au lieu de ça, j’ai plutôt trouvé un roman ado basique. Ai-je grandi ? Avais-je trop d’attentes ?
Le lieu de l’intrigue est inconnu, l’époque aussi, mais les valeurs sont celles du Moyen-Âge. Les filles sont mariées de force, à 16 ans, âge où leur « magie » se déclenche. Juste après les propositions de mariage, qui se font en huit-clos uniquement masculin, les jeunes filles sont envoyées en forêt pour dissiper leur magie et revenir inoffensives. C’est l’année de grâce. L’héroïne, Tiernan, est dès le départ différente des autres. Elle ne veut pas se marier, ne croit pas à la magie, rêve (ce qui est interdit), elle veut être libre, indépendante.
Pourquoi, pour une fois, ne pourrait-on pas avoir un groupe d’héroïnes et non une seule ?
Le groupe, c’est ce que j’espérais voir apparaître dans ce roman. Une entraide féminine, féministe. Or, l’année de grâce fait ressortir le pire chez les jeunes filles, l’autrice déploie une violence impressionnante. Pourquoi ce surplus de violence physique, de barbarie ? Peut-être était-ce la frustration que ressentaient les femmes d’être mal traitées en ville qui ressortait entre elles et contre elles durant l’année de grâce ? Néanmoins, je n’ai pas trouvé cela utile, j’avais l’impression d’une violence gratuite, comme dans le film Blanche Neige et le chasseur où les mères défigurent leurs filles pour qu’elles ne soient pas plus belles que la Reine.
Cette violence m’a paru encore plus déplacée quand j’ai découvert au fil des pages une histoire d’amour trop clichée à mon goût. SPOIL La proie et le braconnier, l’amour interdit. SPOIL Dans ce livre féministe, j’aurais aimé une héroïne véritablement indépendante, qui n’a pas besoin d’un homme pour lui faire se rendre compte de la société aberrante dans laquelle elle vit. Or, j’ai eu l’impression de retomber dans une histoire niaise, exactement comme ce que j’avais ressenti à la lecture de VOX, de Christina Dalcher.
Comme pour le roman de Christina Dalcher, le sujet est important : sexisme, machiste, domination masculine et peur de la femme. Et comme pour ce roman, L’Année de grâce a, pour moi, échoué à le traiter sur la longueur de l’intrigue.
Parlons en de cette intrigue. L’environnement moyenâgeux et magique me paraissait un très bon moyen de détourner tout en parlant d’aujourd’hui (le principe de mise à distance spatiale et temporelle qu’utilisent Saint-Simon dans ses Mémoires, Du Bellay dans Les Regrets, et bien d’autres, permet ainsi de mieux se rendre compte de notre réalité sans entrer en confrontation directe avec elle). Malheureusement, j’ai trouvé le cadre mal posé, il me manquait des détails, des explications : comment en était-on arrivé là ? pourquoi les filles étaient-elles dotées de « magie » ? Et j’ai trouvé de nombreuses facilités scénaristiques (la fin, notamment)
Enfin, et après promis j’arrête ma diatribe contre L’année de grâce, j’ai été gênée par l’écriture. Je ne sais pas si c’est la traduction ou l’originale, mais pour moi, cela sonnait faux. Le vocabulaire utilisé ne convenait pas, j’avais l’impression qu’elle (autrice ou traduction) voulait montrer ses connaissances, ses mots savants. Mais cela n’apportait rien à l’intrigue, au contraire. Certains auteurs ont une langue en excès, des personnages de l’excès, mais c’est fait exprès, comme le Capitan Matamore de qui Scarron se moque et sur qui il cherche à surenchérir (ou comme moi qui tente de réutiliser mes cours dans mes chroniques).
Contrairement à beaucoup d’avis, sur internet, en librairie, je n’ai pas accroché avec L’année de grâce. Mais si ce livre permet à ses lectrices et lecteurs de réfléchir aux problématiques abordées, alors je pense que Kim Liggett aura rempli le contrat médiatique du « livre féministe » et c'est ce qui m'importe, qu'un livre véhicule un message.