mardi 10 octobre 2023

Un livre à travers des citations : L'enfant qui, de Jeanne Benameur


Titre : L'enfant qui
Autrice : Jeanne Benameur
Editions : Acte sud
Nombre de pages : 128
Parution : mai 2017
Coût : 13,80€ (existe en poche)






4e de couverture : 

Trois trajectoires, trois personnages mis en mouvement par la disparition d’une femme, à la fois énigme et clé.
L’enfant marche dans la forêt, adossé à l’absence de sa mère. Il apprend peu à peu à porter son héritage de mystère et de liberté. Avec un chien pour guide, il découvre des lieux inconnus. À chaque lieu, une expérience nouvelle. Jusqu’à la maison de l’à-pic.
Le père, menuisier du village, délaisse le chemin familier du Café à la maison vide. En quête d’une autre forme d’affranchissement, il cherche à délivrer son corps des rets du désir et de la mémoire.
Et puis il y a la grand-mère, qui fait la tournée des fermes voisines, dont le parcours encercle et embrasse le passé comme les possibles.
Porté par la puissance de l’imaginaire, L’Enfant qui raconte l’invention de soi, et se déploie, sensuel et concret, en osmose avec le paysage et les élans des corps, pour mieux tutoyer l’envol.

Mon avis :


 " Les paroles qui font juste ce qu'il faut de bruit pour se sentir vivants, ensemble." 
p33

L’écriture de Jeanne Benameur est bien particulière, une ponctuation qui sonne étrangement à nos oreilles, un vocabulaire simple, à hauteur de l’enfant que nous suivons, impossible de ne pas se laisser emporter par ses mots. 


Cet enfant, c’est « l’enfant », c’est « tu », nous n’en savons pas plus, et cela interroge. Qui est-il ?Pourquoi cette adresse ? Alors que les autres personnages sont décrits, détaillés, lui reste non identifié.  Sa solitude est alors renforcée car, bien qu’il partage les pages avec son père et sa grand-mère, seule l’absence de sa mère compte. Le narrateur s’appuie sur ce manque pour parler à l’enfant, le raconter.  


"Alors reviennent les mots tapis dans sa bouche. Ils vibrent entre tes côtes. Tu poses ta main sur ta poitrine d'enfant." 
p39

"La grammaire de cette langue ne s'apprend nulle part. Personne ne peut l'enseigner. C'est une langue sauvage. Qui va sa route de corps en corps, ne se donne que par le silence de la peau. Une langue aveugle comme peut l'être le petit au creux du corps de la mère, pas encore livré au monde. C'est ma langue des rêves assourdis et des mythes des hommes." 
p56


On découvre la mère à travers les pensées et les souvenirs des trois personnages. La mère devient la personnification du monde, en cherchant à la comprendre, ils cherchent en fait la signification de la vie elle-même. 


"Son nom lancé dans l'air du soir,  c'était un étrange plaisir, il se souvient. Il existait plus fort dans l'appel de sa mère. Dans cette voix qui le hélait au crépuscule. Bien plus fort que lorsqu'il était présent devant elle." 

p76

"Est-ce qu'un nom voyage bien après que toute voix s'est tue ? est que les branches basses des arbres le portent jusqu'à leur sommets et le nom, porté par le souffle du vent, doucement, comme un petit dans la mâchoire d'un mère, découvre l'étendue de la canopée de la forêt. Combien de temps faut-il pour qu'un nom redescende jusqu'à l'oreille de celui qui et nommé ? 

p106


Ce petit livre d’une centaine de pages ne retrace qu’une seule journée, où l’important n’est pas les actions mais les réflexions qui en découlent. Jeanne  Benameur nous fait entrer dans un univers onirique où la nature tient une grande place, en osmose avec le corps. L’enfant, accompagné d’un chien, se promène dans la forêt, se faufilant dans des recoins, sentant la terre sous ses pieds, l’humidité dans l’air. Là, il peut laisser parler le silence, crier, chanter, écouter.


"Tu t'arrêtes toi aussi, le silence du pelage sous la main." 
p37

" Ton chant t'allèges de tous les regards de tous les cris de tous les silences.
Ta vie peut se mêler à toute vie. Tu rejoins tout ce qui vit tout ce qui meurt. Tu fais partie. Il n'y a plus de temps." 
p25


Jeanne Benameur nous livre ici un conte initiatique où l’enfant doit apprendre à grandir, le père à vivre sans sa femme. Ces personnages cherchent à se reconstruire après la disparition de l’être aimé, la femme, la mère. Comment raconter ce déchirement entre une mère et son enfant ? Où chercher la force pour avancer ? A travers leur douleurs et leurs blessures qui réapparaissent les personnages se tournent vers le passé et leurs souvenirs afin de reprendre le contrôle sur leur vie.


"Adossé à son absence, tu entames le périlleux voyage.
Tu te ramasses dans sa bouche close. Tu roules avec les mots engloutis. Ils sont là. Durcis vibrants retenus. Comme avant les nuages gris fer juste avant qu'éclatent les pluies drues des printemps.

Ils t'attendent." 

p36


"Tu t'affoles. J'entends ta respiration. Elle bute sur quelque chose de dur dans ta poitrine. Tu cours tu lutte contre ce qui durcit, là, une pierre. Entre tes côtes, l'air siffle et se serre. Alors tu sens que tu es toujours vivant. Par la douleur. C'est une rude façon mais c'est la seule que tu possèdes." 

p13


L’enfant qui, ça pourrait être un partie de notre histoire, des bribes d’émotions que chacun peut ressentir. L’harmonie des mots nous portent, on est dans la forêt, on est le père, la grand-mère, mais surtout l’enfant avec ce tutoiement qui le rend universel. Une quête, non pas du bonheur mais de l’apaisement qui, j’espère, vous touchera autant que moi.

"Il partira comme elle. En voleur. Voleur de quoi ? de la peine qu'on fait ? Celui qui part, est-ce qu'il doit toujours sentir qu'il a volé quelque chose ? 
p108

lundi 2 octobre 2023

Tous nos rêves ordinaires, de Elodie Chan


Titre : Tous nos rêves ordinaires
Autrice : Elodie Chan
Edition : Sarbacane
Collection : Exprim'
Nombre de pages : 256
Parution : 6 septembre
Coût : 16,50€
Autres livres de l'autrice : et dans nos coeurs un incendie





4ème de couverture : 

Entre Normal People et Songe à la douceur, le temps d’un été, le portrait brûlant d’une jeunesse française qui s’aime. 

Dans une banlieue pavillonnaire, un lotissement. L’été, et la chaleur. Une bande d’ados.
Il y a Chloé, elle vit à travers les livres et aime en secret. Gabriel et sa belle gueule, mec attrape-cœurs. Lola et Romane, nombril à l’air et minishorts, qui capturent les regards. Lola veut devenir une star. Romane s’échapper ailleurs. C’est que chez elle, il y a l’Ogre et ses poings. Cyrus, la tête dans les étoiles, est fou de Romane. De l’autre côté de la rue, derrière sa fenêtre, il espère. Dingue, le désir et les rêves, comment ça t’obsède.


Mon avis : 

Collaboration non rémunérée

 Narration aux pensées décousues, on entre dans la tête de cinq adolescents ; ils ont 16 ans et sont coincés dans le tourbillon d’émotions que l’on peut ressentir à cet âge. Le temps d’un été à la chaleur languissante, Romane, Lola, Cy, Chloé et Gabriel se cherchent, tissent des liens, jouent. Ils ne se comprennent pas forcément, se loupent parfois, se blessent aussi. Elodie Chan a très bien su rendre compte de cet état de pensée que l’on peut avoir lorsqu'une question s'impose à nous : comment grandir en se confronter à l’amour, au désir naissant mais aussi au regard des autres et à la pression de bien faire ? 


« - Ferme les paupières… C’est le prune qui fait ressortir le vert, elle explique. Ca marche par couleur complémentaire.

Le contact du pinceau, comme une caresse. Un sourire. Romane pense, En vrai, c’est toi, Lola, ma couleur complémentaire. »


Malgré tout, je n’ai pas tant accroché que cela à l’histoire, aux personnages. Leurs pensées étaient trop fouillis pour moi, je n’arrivais pas à suivre. De plus, Cy me semblait problématique ; cette obsession pour Romane me mettait mal à l’aise. 


« Vas-y, la pluie, emporte le chagrin et la colère, fous tout dans le caniveau. »


Pour ce qui est de l’écriture, elle m’a séduite. Vers libres à la ponctuation désordonnée, je me suis laissée emportée par cette écriture en dents de scie si particulière. Elle peut rebuter, elle peut envoûter, mais impossible de rester indifférent à la poésie des mots d’Elodie Chan.


« Gabriel, muet. Il pense vague, à des années-lumière. Tout là-haut, la nuit l’estompe, et lui se fragmente entre le vide et les étoiles. »


Ce roman plein de sensualité nous fait vivre, comme à travers une série de photos, la vie de cinq adolescents finalement ordinaires.