mercredi 18 novembre 2020

Premières lignes : Broadway, de Fabrice Caro

Premières lignes est un rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma Lecturothèque. Il s'agit de vous faire découvrir un livre en vous mettant ses premières lignes. Simple non ?
J'ai trouvé le principe plutôt sympa, donc quand l'envie m'en prendra, pourquoi ne pas le faire?

Ce genre d'article est pour moi l'occasion de vous partager certaines de mes lectures sur lesquelles j'aurais du mal à disserter longtemps ou des écritures qui m'ont particulièrement touchée, reconnaissables des les premières lignes.


                       Broadway, de Fabrice Caro
Editions Gallimard, collection Sygne, 2020, 
194 pages, 18€



Le 20 juillet 1988, quand était arrivée la lettre de Sandrine Cazes alors en vacances à Juan-les-Pins et que j’avais rencontrée une semaine auparavant dans un bal de village, je l’avais saisie d’une main trem- blante (en réalité, elle était d’abord passée par les mains de ma mère, c’est elle qui allait au courrier,C’est pour toi, avait-elle déclaré d’un ton solennel, suscitant chez moi un sentiment mêlé de honte et d’excitation), je m’étais réfugié dans ma chambre pour l’ouvrir en toute tranquillité et j’avais découvert une carte postale d’une vue de Juan-les-Pins accom- pagnée d’une longue lettre d’une écriture tout en rondeur, à l’encre bleue sur du papier parfumé. Sandrine Cazes évoquait notre rencontre, parlait de ses vacances, de son petit frère insupportable, puis soudainement, au milieu d’une phrase sur la tempé- rature de l’eau, entre parenthèses, surgissait un (pile là à la radio, « ... fermer les volets et ne plus changer l’eau des fleurs...», qui me fait douloureusement pen- ser à toi). Au bas de la lettre, une trace de baiser au rouge à lèvres barrait en diagonale les trois dernières lignes, et cette bouche m’avait littéralement fait fondre. Ce devait être la toute première lettre m’étant adressée personnellement et j’avais cru alors que le courrier serait toujours synonyme de cœur qui bat, de ventre qui vibre, de fragments d’extases et de ciels sans fin.
    Trente ans plus tard, ellipse, je tiens dans ma main une enveloppe plastifiée bleue au bas de laquelle est inscrit : Programme national de dépistage du cancer colorectal.

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Certes, ce sont des premières lignes un peu longues. Mais je voulais vous montrer cette plume si particulière. Ce que j'ai aimé dans Broadway, c'est l'écriture bourrée d'humour de l'auteur. Un humour d'autodérision, décalé, jubilatoire. Fabrice Caro jubile en écrivant Broadway, il ne peut en être autrement. 

Axel, 46 ans, reçoit une enveloppe "bleu Juan-les-Pins" pour un test de dépistage colorectal. Et cette enveloppe, comme l'idée du discours dans Le Discours, est un motif récurrent. Elle chamboule tout, elle est prétexte à tout, elle crée le fantasme d'une vie à Buenos Aires, elle est tout. Et c'est tordant de le voir se casser la tête sur cette enveloppe ridicule, en faire une montagne pas possible, on ne comprend pas. Je suis à des kilomètres de ses préoccupations, et je me suis pliée de rire. On passe du coq à l'âne, aucune explication, on est entièrement dans sa tête, sans aucun filtre, ponctuation virevoltante. Parfois, ça surprend, parfois, on accroche moins, et revenir dedans, reprendre le livre est plus long. Mais c'est tellement drôle, unique. C'est absurde, "doux-amer" écrit Le Monde, une dose de bonne humeur détonnante qui fait un bien fou aux zygomatiques.

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