Premières lignes est un rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma Lecturothèque. Il s'agit de vous faire découvrir un livre en vous mettant ses premières lignes. Simple non ?
J'ai trouvé le principe plutôt sympa, donc quand l'envie m'en prendra, pourquoi ne pas le faire?
Ce genre d'article est pour moi l'occasion de vous partager certaines de mes lectures sur lesquelles j'aurais du mal à disserter longtemps ou des écritures qui m'ont particulièrement touchée, reconnaissables des les premières lignes.
J'ai trouvé le principe plutôt sympa, donc quand l'envie m'en prendra, pourquoi ne pas le faire?
Ce genre d'article est pour moi l'occasion de vous partager certaines de mes lectures sur lesquelles j'aurais du mal à disserter longtemps ou des écritures qui m'ont particulièrement touchée, reconnaissables des les premières lignes.
Je serai vivante, de Nastasia Rugani
Edition Gallimard, collection Scripto 2021
128 pages, 9€
Avertissements :
(surligner pour voir, cela peut potentiellement divulguer l'intrigue)
viol, agression sexuelle, plainte
Depuis que je suis entrée dans votre bureau étriqué, Monsieur l’of cier, vous attendez une jupe en lambeaux, du sang sous les ongles et des témoins. Je crois que vous auriez préféré une foule rugissante devant mon corps dévoré par des chiens haineux; leurs babines rosies de moi ; mes os à vos pieds.
Des preuves à récolter.
Un viol à voir.
Moi, j’aurais préféré ne jamais me rendre sous le cerisier, il y a trois mois, en avril dernier.
Des aveux de saleté, je n’en manque pas. Seulement je ne peux pas montrer mes organes. Mes ruines se dressent au milieu de mes abats. Bien sûr mes vêtements de chair ont l’air propres. Mon tee-shirt d’un bleu sage sur ce jean à la droiture ample ne laisse rien paraître du crime. Je sens le shampoing nacré de ma mère à chaque fois que je baisse la tête. Et je la baisse souvent. Cette odeur visqueuse de fruits d’été, comme des mouches agrippées à moi, me rappelle à vous. Il me semble, Monsieur l’of cier, que vous devinez la pourriture sous mes cheveux sucrés. D’une certaine façon, je crois que ma douleur vous écœure. Je remarque le pincement de votre nez. Votre nez, telle une courte falaise surplombant le bas de votre visage si raide. J’observe vos narines se tendre au moindre mot vif et rouge que je prononce en tremblant. Mal. Culotte. Suffoque. Braguette.
Aussi je fais silence.
Vous prenez mes creux pour des mensonges. Vous expirez fort comme si vous étiez sur le point de vous moucher. Répétez mes phrases a n de les retourner contre moi. Vous m’obligez à devenir mon adversaire. «C’est bien cela qu’il a dit? Avant ou après avoir bloqué ton bras au-dessus de ta tête ? Tu as dit avant tout à l’heure. Tu ne te rappelles pas ? Tu n’es plus sûre de toi ? » Répondre à vos questions, Monsieur l’of cier, ne libère aucune parole. Le viol continue de souf er mon être. Vous n’ajoutez que ronces et cailloux aux rafales. Des crachats sur des plaies ouvertes. Alors que j’essaie de formuler ce qui est en moi, vous me dépossédez de mon l de mots ô combien usés d’être répétés. Votre voix de fer. «Articule. Sans balbutiement cette fois.» Vous me forcez à parler plus fort, si fort que je chancelle. J’ignore comment tenir assise sur cette chaise en plastique au dossier poisseux.
Je grince.
Des preuves à récolter.
Un viol à voir.
Moi, j’aurais préféré ne jamais me rendre sous le cerisier, il y a trois mois, en avril dernier.
Des aveux de saleté, je n’en manque pas. Seulement je ne peux pas montrer mes organes. Mes ruines se dressent au milieu de mes abats. Bien sûr mes vêtements de chair ont l’air propres. Mon tee-shirt d’un bleu sage sur ce jean à la droiture ample ne laisse rien paraître du crime. Je sens le shampoing nacré de ma mère à chaque fois que je baisse la tête. Et je la baisse souvent. Cette odeur visqueuse de fruits d’été, comme des mouches agrippées à moi, me rappelle à vous. Il me semble, Monsieur l’of cier, que vous devinez la pourriture sous mes cheveux sucrés. D’une certaine façon, je crois que ma douleur vous écœure. Je remarque le pincement de votre nez. Votre nez, telle une courte falaise surplombant le bas de votre visage si raide. J’observe vos narines se tendre au moindre mot vif et rouge que je prononce en tremblant. Mal. Culotte. Suffoque. Braguette.
Aussi je fais silence.
Vous prenez mes creux pour des mensonges. Vous expirez fort comme si vous étiez sur le point de vous moucher. Répétez mes phrases a n de les retourner contre moi. Vous m’obligez à devenir mon adversaire. «C’est bien cela qu’il a dit? Avant ou après avoir bloqué ton bras au-dessus de ta tête ? Tu as dit avant tout à l’heure. Tu ne te rappelles pas ? Tu n’es plus sûre de toi ? » Répondre à vos questions, Monsieur l’of cier, ne libère aucune parole. Le viol continue de souf er mon être. Vous n’ajoutez que ronces et cailloux aux rafales. Des crachats sur des plaies ouvertes. Alors que j’essaie de formuler ce qui est en moi, vous me dépossédez de mon l de mots ô combien usés d’être répétés. Votre voix de fer. «Articule. Sans balbutiement cette fois.» Vous me forcez à parler plus fort, si fort que je chancelle. J’ignore comment tenir assise sur cette chaise en plastique au dossier poisseux.
Je grince.
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Encore une fois, ces premières lignes sont plutôt longues. Mais c'est une écriture si marquante. Nastasia Rugani m'a marquée à travers ces mots, des mots durs, crus, qui me nouaient la gorge tout au long de ma lecture. Des mots qui m'ont fait enragée aussi : comment ce policier peut-il se comporter de la sorte ? Comment peut-il faire vivre ce calvaire à cette jeune fille ?
J'aime cette écriture, on entre dans la tête de la jeune fille, on suffoque avec elle, on sent les mots et les larmes se bloquaient dans notre gorge. J'aime le "vous" accusateur, cette absence de dialogue, juste des pensées qui deviennent des blessures devant ce policier.
J'aime cette écriture ; Nastasia Rugani ne prend pas de pincettes pour dénoncer le fonctionnement de la justice vis à vis du viol, le fait de ne pas croire les victimes. MAIS ON VOUS CROIT, VOUS N'Y ETES POUR RIEN, ON VOUS CROIT.