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lundi 29 mai 2023

Paradise Kiss, de Ai Yazawa


Titre : Paradise Kiss
Tomes : intégrale de 5 tomes
Mangaka (autrice et illustratrice) : Ai Yazawa
Editions : Kana
Collection : Shojo Kana (mais considéré comme josei au Japon)
Nombre de pages : 880
Parution : août 2008 pour l'intégrale (entre 2000 et 2003)
Coût : 19€




4ème de couverture : 

La très sérieuse lycéenne Yukari n'a qu'une obsession: réussir son entrée à l'université. Son assiduité aux études n'a d'égale que sa phobie excessive des gens. Aussi, quand un garçon tente de l'aborder, puis qu'un travesti lui barre la route, elle s'effraie au point qu'elle s'évanouit! Lorsqu'elle se réveille au "Paradise Kiss", une sorte de bar tenant lieu d'atelier de couture, elle apprend que ses "agresseurs" sont des étudiants d'une école de mode qui travaillent à leur création de fin d'année. Isabella, le travesti, Arashi, le garçon, et Miwako, sa copine, s'activent à réaliser une robe dessinée par leur ami Georges. En raison de sa taille et de sa minceur, Yukari est pour eux le mannequin idéal pour présenter ce modèle. Quels sacrifices devra-t-elle faire pour entrer dans ce monde bizarre qui l'attire pourtant ?

Mon avis : 

L’été dernier j’avais lu la série Je ne suis pas un ange de Ai Yazawa. Je me souviens avoir été conquise par les dessins sublimes, mais moins par l’histoire. Eh bien il en est de même pour Paradise Kiss.

Le style graphique d’Ai Yazawa est magnifique. Ses traits, élégants et très fin, permettent aux dessins d’être extrêmement détaillés, conférant ainsi un caractère très réaliste aux personnages mais aussi aux décors. Bien sûr, on retrouve le style du manga dans certaines expressions faciales, mais elles ressortent tellement par rapport au reste qu’elles ne forment qu’une petite bulle d’eau à l’intérieur d’un océan.

Les traits d’Ai Yazawa permettent surtout de mettre en valeur le thème de Paradise Kiss : la mode. Les robes et les accessoires sont éblouissants, chaque création de Para’Kiss m’émerveillait au plus au point.
Je découvrais avec plaisir l’univers magique et impitoyable de la mode. Derrière la marque Para’Kiss se cachent quatre étudiants d’une école de stylisme : Miwako et Arashi qui cousent, Isabella qui dessine les patrons et last but not least Georges qui crée les vêtements. Cette bande d’amis ont fait d’un vieux bar leur atelier où ils se préparent pour le défilé de leur école. Mais pourquoi se donnent-ils des noms anglais ? Ça, je n’ai pas réussi à le comprendre… Par le dessin, ils sont bien distinct les uns des autres : un style excentrique pour Isabella, metalleux/punk pour Arashi, androgyne pour Georges, très classe et froid pour Yukari et ma préférée, Mikawo, toute mignonne avec son style enfantin et ses différentes perruques.

On rencontre ces personnages par le biais de Yukari, l’héroïne de Paradise Kiss. Elève sérieuse qui se prépare aux concours d’entrée en fac, elle est accostée par Arashi. Sa grande taille et sa minceur font d’elle le mannequin parfait. D’abord réticente, Yukari va entrer dans ce monde bizarre et attirant dans lequel, je trouve, elle n’a de place que par son apparence. Plusieurs thèmes sont abordés : l’orientation professionnelle, les relations amicales et amoureuses, les conflits familiaux, les doutes et les prises de conscience… Malheureusement, tout cela est gâché par les personnages. Je ne peux pas les supporter. 

Que ce soit de par leur caractère ou leurs relations, les personnages sont d’une toxicité effarante. Je semble dure, mais je les ai vraiment trouvés problématiques. Georges est imbuvable, il est hautain, prétentieux et ses interactions avec les autres sont extrêmement malsaines. Autocentré, il ne prend pas ses amis en considération, donne des ordres à tout va et se comporte finalement exactement comme son père qu’il considère pervers. Les filles sont d’une soumission horripilante. Ce n’est pas possible d’accepter de se faire rabaisser à ce point par des garçons. Que ce soit Miwako, Yukari, et même la mère de Georges, elles ne vivent que pour eux, changent leur comportement pour leur plaire et leur pardonnent tout. Elles couchent même avec eux pour rester dans leurs bonnes grâces et oblitère un viol comme un simple "accident de parcours". Ce n’est pas de l’amour, et le montrer comme tel est extrêmement dangereux, ce n'est plus possible à notre époque (le dernier tome est, certes, paru en 2005 en France, mais ce n'est pas une excuse, ou du moins, il faut l'avoir bien en tête en le lisant). Paradise Kiss montre alors les hommes comme dominants, chefs suprêmes et les femmes comme dominées, tout juste bonnes à leur faire plaisir. Toute l’évolution de Yukari tourne autour de Georges, il n’aime pas les filles qui se laissent faire ? Alors elle va être décidée. Il n’aime pas les filles en désaccord avec lui ? Alors elle va s’opposer. Elle change complètement pour lui qui est en plus paradoxale dans ses choix et ses envies. 
Au milieu de ces personnages : Isabella. Jeune femme indépendante, née garçon, elle vit comme elle l’entend. Dessiner des patrons est sa passion, elle n’a que faire du regard des autres et finalement, c’est elle la plus sage du groupe. Elle n’est au centre d’aucun drama ce qui, je pense, explique la rareté de ses apparitions. On a cependant droit à quelques très belles scènes avec elle sur la transidentité. 

Le plus de cette série, l’intérêt premier étant le graphisme, réside dans l’humour de la mangaka. Elle brise le quatrième mur à travers les réflexions de ces personnages telles que « c’est parce que tu n’es pas le héros de cette histoire » ou « ce chapitre va se concentrer sur ça » ou encore « il s’agit d’un manga shojo, il ne devrait pas y avoir de scène aussi explicite » (car oui, il y a quelques scènes de sexe sans pudeur mais très sensuelles). Cela m’a beaucoup amusée. De même pour les petits résumés entre chaque tome où un personnage de la bande raconte le tome précédent suivant son point de vue, et digresse aussi beaucoup de l’histoire. 

A la fin de ces cinq tomes, les personnages ont tout de même évolué. Le monde des adultes les a rattrapés et avec lui, certaines prises de conscience sont arrivées. Ils ont mis un point final à leur relations malsaines, que ce soit en les modifiant ou en les terminant définitivement. Sur ce point, le manga a pris une tournure plus mature, montrant la complexité des sentiments humains et non plus uniquement un schéma problématique à perpétrer. Un dernier chapitre "Dix ans après" sur Yukari clôture Paradise Kiss.

dimanche 28 mai 2023

Kérozène, de Adeline Dieudonné


Titre : Kérozène
Autrice : Adeline Dieudonné
Edition : Iconoclaste
Nombre de pages : 312
Parution : 1 avril 2021
Coût : 20€ (existe aussi en poche)






4ème de couverture : 


Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes. Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d’un cheval et d’un macchabée. Juliette, la caissière, et son collègue Sébastien, marié à Mauricio. Alika, la nounou philippine, Chelly, prof de pole dance, Joseph, représentant en acariens… Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer. Chacun d’eux va devenir le héros d’une histoire, entre lesquelles vont se tisser parfois des liens. Un livre composite pour rire et pleurer ou pleurer de rire sur nos vies contemporaines.

Comme dans son premier roman, La Vraie Vie, l’autrice campe des destins délirants, avec humour et férocité. Elle ne nous épargne rien, Adeline Dieudonné : meurtres, scènes de baise, larmes et rires. Cependant, derrière le rire et l’inventivité débordante, Kerozene interroge le sens de l’existence et fustige ce que notre époque a d’absurde.

Mon avis :


La boucle est bouclée. C’est la seconde impression que j’ai en refermant Kérozène : la fin est écho du début, elle lui répond, identique avec seulement une précision en plus. Sauf qu’entre temps, une ribambelle de personnages ont défilé, 13 en tout.

Chacun raconte un pan de sa vie. Une partie qui peut, ou non, expliquer leur présence dans cette station service. Parce que oui, j’ai oublié de le dire : ces 13 personnages ont un point en commun, ils se trouvent sur une aire d’autoroute des Ardennes. A partir de là, Adeline Dieudonné joue avec eux. Elle les fait se rencontrer, se croiser, elle raconte leur passé plus ou moins loin. J’ai vraiment eu cette impression de jeu. Avec des chapitres indépendants les uns des autres qui équivaut chacun à une histoire, l’autrice tisse des liens entre ses personnages, se fait marionnettiste du roman. Je dois avouer que ce jeu m’a quelque peu perdue ; j’avais du mal à différencier chaque personnage, qui était qui, qui avait rencontré qui… La fin m’a paru abrupte après avoir écouté tant de voix différentes, je n’y étais absolument pas préparée, et je ne pense pas l’avoir bien comprise.

J’ai dit que cette construction circulaire était la seconde chose qui m’avait frappée à la fin du roman, la première étant une sensation de malaise. Le livre s’ouvre sur une phrase choc : « 23h12. Si on compte le cheval mais qu’on exclu le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. » (ça rappelle un certain incipit…). Elle donne de suite le ton au roman : une fascination perverse et jubilatoire. Avec ses phrases courtes tombant d’un coup comme une pierre, les pages s’enchaînent à une rapidité monstre qui accentue la sensation douce-amère de la fin. Les mots et leur sens nous explosent à la figure, tellement qu’il nous semble être au milieu de l’action et l’on se sent souillé, à la fois épié et voyeur.

A travers des personnages tous plus dérangeants les uns que les autres, Adeline Dieudonné dépeint une société contemporaine d’une violence inouïe. Toutes ces vies fracassées, si névrosées qu’on ne peut qu’espérer qu’elles ont été inventées, ça fait peur. Au milieu de tous les narrateurs, Red Apple, un cheval, paradoxalement le plus humain de tous, et ma plus grande surprise aussi. Dans les autres chapitres, on subit une vie malsaine qu’on a aidé à créer, ici, on est l’innocent qui vient de naître, l’enfant qui ne connait pas la vie et à qui on fout une baffe pour la lui expliquer. On est dans la tête de Red Apple, une sorte de parenthèse entre des scènes de sexe et d’une morbidité sans nom, la violence est moins poignante mais n’en reste pas moins présente devant ce regard naïf qui découvre l’incompréhensible cruauté de l’humanité. 

Oui, c’est vraiment ça que je retiens de Kérozène : un roman-fables (qui s’est d’ailleurs renforcée quand, lors d’une rencontre, Adeline Dieudonné a expliqué la genèse du roman : des nouvelles antérieur qu’elle avait voulu mettre en scène et étoffer) sur les dérives de l’être humain, entre pamphlet et thriller.

PS : Ca faisait longtemps que je n’avais pas écrit, je me suis donc bien amusée avec cette chronique pleine d’emphases et de mots grandiloquents