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mardi 10 octobre 2023

Un livre à travers des citations : L'enfant qui, de Jeanne Benameur


Titre : L'enfant qui
Autrice : Jeanne Benameur
Editions : Acte sud
Nombre de pages : 128
Parution : mai 2017
Coût : 13,80€ (existe en poche)






4e de couverture : 

Trois trajectoires, trois personnages mis en mouvement par la disparition d’une femme, à la fois énigme et clé.
L’enfant marche dans la forêt, adossé à l’absence de sa mère. Il apprend peu à peu à porter son héritage de mystère et de liberté. Avec un chien pour guide, il découvre des lieux inconnus. À chaque lieu, une expérience nouvelle. Jusqu’à la maison de l’à-pic.
Le père, menuisier du village, délaisse le chemin familier du Café à la maison vide. En quête d’une autre forme d’affranchissement, il cherche à délivrer son corps des rets du désir et de la mémoire.
Et puis il y a la grand-mère, qui fait la tournée des fermes voisines, dont le parcours encercle et embrasse le passé comme les possibles.
Porté par la puissance de l’imaginaire, L’Enfant qui raconte l’invention de soi, et se déploie, sensuel et concret, en osmose avec le paysage et les élans des corps, pour mieux tutoyer l’envol.

Mon avis :


 " Les paroles qui font juste ce qu'il faut de bruit pour se sentir vivants, ensemble." 
p33

L’écriture de Jeanne Benameur est bien particulière, une ponctuation qui sonne étrangement à nos oreilles, un vocabulaire simple, à hauteur de l’enfant que nous suivons, impossible de ne pas se laisser emporter par ses mots. 


Cet enfant, c’est « l’enfant », c’est « tu », nous n’en savons pas plus, et cela interroge. Qui est-il ?Pourquoi cette adresse ? Alors que les autres personnages sont décrits, détaillés, lui reste non identifié.  Sa solitude est alors renforcée car, bien qu’il partage les pages avec son père et sa grand-mère, seule l’absence de sa mère compte. Le narrateur s’appuie sur ce manque pour parler à l’enfant, le raconter.  


"Alors reviennent les mots tapis dans sa bouche. Ils vibrent entre tes côtes. Tu poses ta main sur ta poitrine d'enfant." 
p39

"La grammaire de cette langue ne s'apprend nulle part. Personne ne peut l'enseigner. C'est une langue sauvage. Qui va sa route de corps en corps, ne se donne que par le silence de la peau. Une langue aveugle comme peut l'être le petit au creux du corps de la mère, pas encore livré au monde. C'est ma langue des rêves assourdis et des mythes des hommes." 
p56


On découvre la mère à travers les pensées et les souvenirs des trois personnages. La mère devient la personnification du monde, en cherchant à la comprendre, ils cherchent en fait la signification de la vie elle-même. 


"Son nom lancé dans l'air du soir,  c'était un étrange plaisir, il se souvient. Il existait plus fort dans l'appel de sa mère. Dans cette voix qui le hélait au crépuscule. Bien plus fort que lorsqu'il était présent devant elle." 

p76

"Est-ce qu'un nom voyage bien après que toute voix s'est tue ? est que les branches basses des arbres le portent jusqu'à leur sommets et le nom, porté par le souffle du vent, doucement, comme un petit dans la mâchoire d'un mère, découvre l'étendue de la canopée de la forêt. Combien de temps faut-il pour qu'un nom redescende jusqu'à l'oreille de celui qui et nommé ? 

p106


Ce petit livre d’une centaine de pages ne retrace qu’une seule journée, où l’important n’est pas les actions mais les réflexions qui en découlent. Jeanne  Benameur nous fait entrer dans un univers onirique où la nature tient une grande place, en osmose avec le corps. L’enfant, accompagné d’un chien, se promène dans la forêt, se faufilant dans des recoins, sentant la terre sous ses pieds, l’humidité dans l’air. Là, il peut laisser parler le silence, crier, chanter, écouter.


"Tu t'arrêtes toi aussi, le silence du pelage sous la main." 
p37

" Ton chant t'allèges de tous les regards de tous les cris de tous les silences.
Ta vie peut se mêler à toute vie. Tu rejoins tout ce qui vit tout ce qui meurt. Tu fais partie. Il n'y a plus de temps." 
p25


Jeanne Benameur nous livre ici un conte initiatique où l’enfant doit apprendre à grandir, le père à vivre sans sa femme. Ces personnages cherchent à se reconstruire après la disparition de l’être aimé, la femme, la mère. Comment raconter ce déchirement entre une mère et son enfant ? Où chercher la force pour avancer ? A travers leur douleurs et leurs blessures qui réapparaissent les personnages se tournent vers le passé et leurs souvenirs afin de reprendre le contrôle sur leur vie.


"Adossé à son absence, tu entames le périlleux voyage.
Tu te ramasses dans sa bouche close. Tu roules avec les mots engloutis. Ils sont là. Durcis vibrants retenus. Comme avant les nuages gris fer juste avant qu'éclatent les pluies drues des printemps.

Ils t'attendent." 

p36


"Tu t'affoles. J'entends ta respiration. Elle bute sur quelque chose de dur dans ta poitrine. Tu cours tu lutte contre ce qui durcit, là, une pierre. Entre tes côtes, l'air siffle et se serre. Alors tu sens que tu es toujours vivant. Par la douleur. C'est une rude façon mais c'est la seule que tu possèdes." 

p13


L’enfant qui, ça pourrait être un partie de notre histoire, des bribes d’émotions que chacun peut ressentir. L’harmonie des mots nous portent, on est dans la forêt, on est le père, la grand-mère, mais surtout l’enfant avec ce tutoiement qui le rend universel. Une quête, non pas du bonheur mais de l’apaisement qui, j’espère, vous touchera autant que moi.

"Il partira comme elle. En voleur. Voleur de quoi ? de la peine qu'on fait ? Celui qui part, est-ce qu'il doit toujours sentir qu'il a volé quelque chose ? 
p108

lundi 2 octobre 2023

Tous nos rêves ordinaires, de Elodie Chan


Titre : Tous nos rêves ordinaires
Autrice : Elodie Chan
Edition : Sarbacane
Collection : Exprim'
Nombre de pages : 256
Parution : 6 septembre
Coût : 16,50€
Autres livres de l'autrice : et dans nos coeurs un incendie





4ème de couverture : 

Entre Normal People et Songe à la douceur, le temps d’un été, le portrait brûlant d’une jeunesse française qui s’aime. 

Dans une banlieue pavillonnaire, un lotissement. L’été, et la chaleur. Une bande d’ados.
Il y a Chloé, elle vit à travers les livres et aime en secret. Gabriel et sa belle gueule, mec attrape-cœurs. Lola et Romane, nombril à l’air et minishorts, qui capturent les regards. Lola veut devenir une star. Romane s’échapper ailleurs. C’est que chez elle, il y a l’Ogre et ses poings. Cyrus, la tête dans les étoiles, est fou de Romane. De l’autre côté de la rue, derrière sa fenêtre, il espère. Dingue, le désir et les rêves, comment ça t’obsède.


Mon avis : 

Collaboration non rémunérée

 Narration aux pensées décousues, on entre dans la tête de cinq adolescents ; ils ont 16 ans et sont coincés dans le tourbillon d’émotions que l’on peut ressentir à cet âge. Le temps d’un été à la chaleur languissante, Romane, Lola, Cy, Chloé et Gabriel se cherchent, tissent des liens, jouent. Ils ne se comprennent pas forcément, se loupent parfois, se blessent aussi. Elodie Chan a très bien su rendre compte de cet état de pensée que l’on peut avoir lorsqu'une question s'impose à nous : comment grandir en se confronter à l’amour, au désir naissant mais aussi au regard des autres et à la pression de bien faire ? 


« - Ferme les paupières… C’est le prune qui fait ressortir le vert, elle explique. Ca marche par couleur complémentaire.

Le contact du pinceau, comme une caresse. Un sourire. Romane pense, En vrai, c’est toi, Lola, ma couleur complémentaire. »


Malgré tout, je n’ai pas tant accroché que cela à l’histoire, aux personnages. Leurs pensées étaient trop fouillis pour moi, je n’arrivais pas à suivre. De plus, Cy me semblait problématique ; cette obsession pour Romane me mettait mal à l’aise. 


« Vas-y, la pluie, emporte le chagrin et la colère, fous tout dans le caniveau. »


Pour ce qui est de l’écriture, elle m’a séduite. Vers libres à la ponctuation désordonnée, je me suis laissée emportée par cette écriture en dents de scie si particulière. Elle peut rebuter, elle peut envoûter, mais impossible de rester indifférent à la poésie des mots d’Elodie Chan.


« Gabriel, muet. Il pense vague, à des années-lumière. Tout là-haut, la nuit l’estompe, et lui se fragmente entre le vide et les étoiles. »


Ce roman plein de sensualité nous fait vivre, comme à travers une série de photos, la vie de cinq adolescents finalement ordinaires.

samedi 9 septembre 2023

Tout Ella de Sarah Emilie Simone


Titre : Tout Ella
Autrice : Sarah Emilie Simone
Edition : Sarbacane
Collection : Exprim'
Nombre de pages : 224
Parution : 3 mai 2023
Coût : 16€





4ème de couverture : 

Une comédie de passage à l’âge adulte à se mordre les joues de bonheur. 

Le jeudi, je passe mon permis.
Le vendredi, j’ai les résultats du bac et ma mère italienne tombe dans les pommes pour un demi-point au rattrapage.
Le samedi, je pars en Bretagne avec mes meilleurs amis dans une voiture volée empruntée pour aller chercher Zaza, ma grand-mère, qui a soudain disparu.
Le dimanche je me réveille la tête dans le sable, je me suis embrouillée avec tout le monde et j’ai 45 appels en absence de ma mère italienne.

Ouhlà, Ella, qu’est-ce que t’as encore fait comme dinguerie ?


Mon avis : 

Je suis un peu mitigée en refermant Tout Ella. Le roman est très drôle, et il y avait certains passages qui me faisaient bien rire, mais je n’ai pas, mais alors pas du tout, accroché avec l’héroïne.


Je ne pouvais pas voir Ella en peinture, elle voulait à tellement retrouver Zaza, sa grand-mère qu’elle en devenait égoïste. Ses amis vont jusqu’en Bretagne (de Paris !) pour elle, et elle n’a aucune reconnaissance envers eux, elle est même prête à saborder l’audition de sa meilleure amie. Au premier abord, je trouvais ses motivations justes : elle avait peur qu’il soit arrivé quelque chose à sa grand-mère, mais plus les pages défilaient, plus Ella était en colère contre Zaza pour l’avoir abandonnée.


Mise à par Ella, qui a quand même bien entaché ma lecture, c’est un livre à l’aventure rocambolesque. Sarah Emilie Simone ne nous décrit que quatre jours ! Ce court laps de temps donne au roman une certaine urgence sans toutefois nous tourner la tête. La rencontre avec l’agent de sécurité, sortant de nul part, marche à merveille, en plus d’ajouter un burlesque très agréable, elle apporte une certaine touche d’humanité au roman, un espoir d’empathie et de gentillesse désintéressées. Durant ces quatre jours, nos héros ne sont pas toujours en symbiose, une énorme dispute éclate mais ils finissent par se retrouver, ce qui définit parfaitement l’amitié : des embrouilles et des réconciliations. 

Ce court road-trip plein de fraicheur permet tout de même une évolution des personnages, ils sortent grandis de leur expérience qui semble pour le moins inconsciente, on peut se le dire. Sarah Emilie Simone nous montre une vie entière condensée en quelques jours à peine.


Alors que le personnage d’Ella m’est antipathique, les personnages secondaires sont eux, très touchants. Entre Maya, la jeune fille réfléchie, aux talents artistiques qui a toujours su ce qu’elle voulait faire de sa vie, et Ben qui est en proie à des combats internes et familiaux, on peut facilement se reconnaitre dans certains de leurs traits de caractère. Tous deux nous montrent cet âge charnière de la fin du lycée où l’on se cherche encore et où l’on est un peu perdu au milieu de tout cet enchaînement de changements. 

La mère d’Ella est par ailleurs très comique : archétype de la mamma italienne, elle est maladroite, et parfois, comme tous les parents, un brin trop protecteur. Après la mort de son mari, elle s’est renfermée pour se protéger sans savoir que cela allait impacter sa fille. Malgré tout, on ressent l’amour qu’elle porte à Ella et son souhait d’une vie meilleure pour elle. 

Quant à Zaza… C’est un personnage, dans tous les sens du terme ! Complètement atypique, elle est la personne la plus importante pour Ella, elle s’est occupée d’elle comme de sa propre fille. La décision qu’elle a prise de partir n’était motivée que par la volonté de faire grandir sa petite-fille, même si je trouve cela un peu ahurissant d’opérer un changement si brutal.


On éprouve un certain attachement au trio constitué par Ella, Maya et Ben, rendant cette lecture plus sympathique. A travers ce road-trip rempli d’imprévus et d’émotions, Tout Ella aborde avec justesse le difficile passage de l'adolescence à l'âge adulte.

lundi 29 mai 2023

Paradise Kiss, de Ai Yazawa


Titre : Paradise Kiss
Tomes : intégrale de 5 tomes
Mangaka (autrice et illustratrice) : Ai Yazawa
Editions : Kana
Collection : Shojo Kana (mais considéré comme josei au Japon)
Nombre de pages : 880
Parution : août 2008 pour l'intégrale (entre 2000 et 2003)
Coût : 19€




4ème de couverture : 

La très sérieuse lycéenne Yukari n'a qu'une obsession: réussir son entrée à l'université. Son assiduité aux études n'a d'égale que sa phobie excessive des gens. Aussi, quand un garçon tente de l'aborder, puis qu'un travesti lui barre la route, elle s'effraie au point qu'elle s'évanouit! Lorsqu'elle se réveille au "Paradise Kiss", une sorte de bar tenant lieu d'atelier de couture, elle apprend que ses "agresseurs" sont des étudiants d'une école de mode qui travaillent à leur création de fin d'année. Isabella, le travesti, Arashi, le garçon, et Miwako, sa copine, s'activent à réaliser une robe dessinée par leur ami Georges. En raison de sa taille et de sa minceur, Yukari est pour eux le mannequin idéal pour présenter ce modèle. Quels sacrifices devra-t-elle faire pour entrer dans ce monde bizarre qui l'attire pourtant ?

Mon avis : 

L’été dernier j’avais lu la série Je ne suis pas un ange de Ai Yazawa. Je me souviens avoir été conquise par les dessins sublimes, mais moins par l’histoire. Eh bien il en est de même pour Paradise Kiss.

Le style graphique d’Ai Yazawa est magnifique. Ses traits, élégants et très fin, permettent aux dessins d’être extrêmement détaillés, conférant ainsi un caractère très réaliste aux personnages mais aussi aux décors. Bien sûr, on retrouve le style du manga dans certaines expressions faciales, mais elles ressortent tellement par rapport au reste qu’elles ne forment qu’une petite bulle d’eau à l’intérieur d’un océan.

Les traits d’Ai Yazawa permettent surtout de mettre en valeur le thème de Paradise Kiss : la mode. Les robes et les accessoires sont éblouissants, chaque création de Para’Kiss m’émerveillait au plus au point.
Je découvrais avec plaisir l’univers magique et impitoyable de la mode. Derrière la marque Para’Kiss se cachent quatre étudiants d’une école de stylisme : Miwako et Arashi qui cousent, Isabella qui dessine les patrons et last but not least Georges qui crée les vêtements. Cette bande d’amis ont fait d’un vieux bar leur atelier où ils se préparent pour le défilé de leur école. Mais pourquoi se donnent-ils des noms anglais ? Ça, je n’ai pas réussi à le comprendre… Par le dessin, ils sont bien distinct les uns des autres : un style excentrique pour Isabella, metalleux/punk pour Arashi, androgyne pour Georges, très classe et froid pour Yukari et ma préférée, Mikawo, toute mignonne avec son style enfantin et ses différentes perruques.

On rencontre ces personnages par le biais de Yukari, l’héroïne de Paradise Kiss. Elève sérieuse qui se prépare aux concours d’entrée en fac, elle est accostée par Arashi. Sa grande taille et sa minceur font d’elle le mannequin parfait. D’abord réticente, Yukari va entrer dans ce monde bizarre et attirant dans lequel, je trouve, elle n’a de place que par son apparence. Plusieurs thèmes sont abordés : l’orientation professionnelle, les relations amicales et amoureuses, les conflits familiaux, les doutes et les prises de conscience… Malheureusement, tout cela est gâché par les personnages. Je ne peux pas les supporter. 

Que ce soit de par leur caractère ou leurs relations, les personnages sont d’une toxicité effarante. Je semble dure, mais je les ai vraiment trouvés problématiques. Georges est imbuvable, il est hautain, prétentieux et ses interactions avec les autres sont extrêmement malsaines. Autocentré, il ne prend pas ses amis en considération, donne des ordres à tout va et se comporte finalement exactement comme son père qu’il considère pervers. Les filles sont d’une soumission horripilante. Ce n’est pas possible d’accepter de se faire rabaisser à ce point par des garçons. Que ce soit Miwako, Yukari, et même la mère de Georges, elles ne vivent que pour eux, changent leur comportement pour leur plaire et leur pardonnent tout. Elles couchent même avec eux pour rester dans leurs bonnes grâces et oblitère un viol comme un simple "accident de parcours". Ce n’est pas de l’amour, et le montrer comme tel est extrêmement dangereux, ce n'est plus possible à notre époque (le dernier tome est, certes, paru en 2005 en France, mais ce n'est pas une excuse, ou du moins, il faut l'avoir bien en tête en le lisant). Paradise Kiss montre alors les hommes comme dominants, chefs suprêmes et les femmes comme dominées, tout juste bonnes à leur faire plaisir. Toute l’évolution de Yukari tourne autour de Georges, il n’aime pas les filles qui se laissent faire ? Alors elle va être décidée. Il n’aime pas les filles en désaccord avec lui ? Alors elle va s’opposer. Elle change complètement pour lui qui est en plus paradoxale dans ses choix et ses envies. 
Au milieu de ces personnages : Isabella. Jeune femme indépendante, née garçon, elle vit comme elle l’entend. Dessiner des patrons est sa passion, elle n’a que faire du regard des autres et finalement, c’est elle la plus sage du groupe. Elle n’est au centre d’aucun drama ce qui, je pense, explique la rareté de ses apparitions. On a cependant droit à quelques très belles scènes avec elle sur la transidentité. 

Le plus de cette série, l’intérêt premier étant le graphisme, réside dans l’humour de la mangaka. Elle brise le quatrième mur à travers les réflexions de ces personnages telles que « c’est parce que tu n’es pas le héros de cette histoire » ou « ce chapitre va se concentrer sur ça » ou encore « il s’agit d’un manga shojo, il ne devrait pas y avoir de scène aussi explicite » (car oui, il y a quelques scènes de sexe sans pudeur mais très sensuelles). Cela m’a beaucoup amusée. De même pour les petits résumés entre chaque tome où un personnage de la bande raconte le tome précédent suivant son point de vue, et digresse aussi beaucoup de l’histoire. 

A la fin de ces cinq tomes, les personnages ont tout de même évolué. Le monde des adultes les a rattrapés et avec lui, certaines prises de conscience sont arrivées. Ils ont mis un point final à leur relations malsaines, que ce soit en les modifiant ou en les terminant définitivement. Sur ce point, le manga a pris une tournure plus mature, montrant la complexité des sentiments humains et non plus uniquement un schéma problématique à perpétrer. Un dernier chapitre "Dix ans après" sur Yukari clôture Paradise Kiss.

dimanche 28 mai 2023

Kérozène, de Adeline Dieudonné


Titre : Kérozène
Autrice : Adeline Dieudonné
Edition : Iconoclaste
Nombre de pages : 312
Parution : 1 avril 2021
Coût : 20€ (existe aussi en poche)






4ème de couverture : 


Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes. Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d’un cheval et d’un macchabée. Juliette, la caissière, et son collègue Sébastien, marié à Mauricio. Alika, la nounou philippine, Chelly, prof de pole dance, Joseph, représentant en acariens… Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer. Chacun d’eux va devenir le héros d’une histoire, entre lesquelles vont se tisser parfois des liens. Un livre composite pour rire et pleurer ou pleurer de rire sur nos vies contemporaines.

Comme dans son premier roman, La Vraie Vie, l’autrice campe des destins délirants, avec humour et férocité. Elle ne nous épargne rien, Adeline Dieudonné : meurtres, scènes de baise, larmes et rires. Cependant, derrière le rire et l’inventivité débordante, Kerozene interroge le sens de l’existence et fustige ce que notre époque a d’absurde.

Mon avis :


La boucle est bouclée. C’est la seconde impression que j’ai en refermant Kérozène : la fin est écho du début, elle lui répond, identique avec seulement une précision en plus. Sauf qu’entre temps, une ribambelle de personnages ont défilé, 13 en tout.

Chacun raconte un pan de sa vie. Une partie qui peut, ou non, expliquer leur présence dans cette station service. Parce que oui, j’ai oublié de le dire : ces 13 personnages ont un point en commun, ils se trouvent sur une aire d’autoroute des Ardennes. A partir de là, Adeline Dieudonné joue avec eux. Elle les fait se rencontrer, se croiser, elle raconte leur passé plus ou moins loin. J’ai vraiment eu cette impression de jeu. Avec des chapitres indépendants les uns des autres qui équivaut chacun à une histoire, l’autrice tisse des liens entre ses personnages, se fait marionnettiste du roman. Je dois avouer que ce jeu m’a quelque peu perdue ; j’avais du mal à différencier chaque personnage, qui était qui, qui avait rencontré qui… La fin m’a paru abrupte après avoir écouté tant de voix différentes, je n’y étais absolument pas préparée, et je ne pense pas l’avoir bien comprise.

J’ai dit que cette construction circulaire était la seconde chose qui m’avait frappée à la fin du roman, la première étant une sensation de malaise. Le livre s’ouvre sur une phrase choc : « 23h12. Si on compte le cheval mais qu’on exclu le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise. » (ça rappelle un certain incipit…). Elle donne de suite le ton au roman : une fascination perverse et jubilatoire. Avec ses phrases courtes tombant d’un coup comme une pierre, les pages s’enchaînent à une rapidité monstre qui accentue la sensation douce-amère de la fin. Les mots et leur sens nous explosent à la figure, tellement qu’il nous semble être au milieu de l’action et l’on se sent souillé, à la fois épié et voyeur.

A travers des personnages tous plus dérangeants les uns que les autres, Adeline Dieudonné dépeint une société contemporaine d’une violence inouïe. Toutes ces vies fracassées, si névrosées qu’on ne peut qu’espérer qu’elles ont été inventées, ça fait peur. Au milieu de tous les narrateurs, Red Apple, un cheval, paradoxalement le plus humain de tous, et ma plus grande surprise aussi. Dans les autres chapitres, on subit une vie malsaine qu’on a aidé à créer, ici, on est l’innocent qui vient de naître, l’enfant qui ne connait pas la vie et à qui on fout une baffe pour la lui expliquer. On est dans la tête de Red Apple, une sorte de parenthèse entre des scènes de sexe et d’une morbidité sans nom, la violence est moins poignante mais n’en reste pas moins présente devant ce regard naïf qui découvre l’incompréhensible cruauté de l’humanité. 

Oui, c’est vraiment ça que je retiens de Kérozène : un roman-fables (qui s’est d’ailleurs renforcée quand, lors d’une rencontre, Adeline Dieudonné a expliqué la genèse du roman : des nouvelles antérieur qu’elle avait voulu mettre en scène et étoffer) sur les dérives de l’être humain, entre pamphlet et thriller.

PS : Ca faisait longtemps que je n’avais pas écrit, je me suis donc bien amusée avec cette chronique pleine d’emphases et de mots grandiloquents


mardi 24 janvier 2023

C'est quand la vraie vie, de Claire Renaud


Titre : C'est quand la vraie vie ?
Autrice : Claire Renaud
Edition : Sarbacane
Collection : Exprim'
Nombre de pages : 224
Parution : 4 janvier 2023
Coût : 17€





4ème de couverture : 
Un « récit de vie » à l’échelle d’une année, qui fait grandir trois copines de 13 ans, avec drôlerie et délicatesse ! La vraie vie adolescente, pleine de ses gênes et drames savoureux. 

Antigone, Camille et Nina ont 13 ans, et beaucoup de questions, à commencer par : la vie, la vraie, ça commence quand ? Elles aimeraient vivre leurs aventures à elles, ne plus rester sur le bas-côté. Devenir des femmes fières et indépendantes – mais aussi, euh… belles, sûres d’elles, aimées, amoureuses ? Pour ça, Antigone compte bien prendre son destin en main, et elle a un plan. Non, deux. Trois plans. D’abord, elles vont devenir féministes. Et puis, se faire inviter aux soirées. Et puis, se trouver un amoureux. Et aussi, se relooker. Non, attendez, est-ce que c’est pas antinomique avec le fait d’être féministe ? Mince, et puis voilà soudain un drame familial à régler.
Alors ?? La vie, la vraie, ça commence quand ?


Mon avis : 

Merci aux éditions Sarbacane pour l'envoi

Antigone a 13 ans, deux copines : Camille et Nina, un crush et une conscience féministe. On fait la rencontre des trois amies le soir, dans la rue : elles collent. Pourquoi ? Parce que l’éveil féministe commence tôt, parce qu’elles veulent impressionner des filles de lycée, parce qu’elles veulent VIVRE. La jeune Enora de 13 ans est impressionnée, elle aussi aurait voulu s’insurger contre le système, faire partie de cette révolution politique.

Les lendemains, au collège, Antigone croise le regard de Basile, coup de foudre unilatéral, Antigone est prise dans ses filets. Telle la consonance tragique de son prénom, le garçon devient sa muse, son obsession, il faut qu’il l’aime, sans lui, sa vie n’a plus de goût. J’ai aimé la façon qu’a l’autrice de décrire le premier amour, il prend toute la place, nous déconcentre et nous laisse pantois, sans autre but que de se rapprocher du sujet de notre tentation. Néanmoins, avec l’emphase de ses phrases, j’ai trouvé qu’elle allait trop loin, certes, le premier amour est important, mais la plume de l’autrice lui a conféré un aspect un peu ridicule.


A partir de là, Antigone, Camille et Nina échafaudent un plan pour que notre héroïne séduise Basile : teinture, relooking, cuisine, et soirée, elles sont prêtes à tout. Mais ne sont-elles pas trop jeunes ? Se maquiller, se boucler les cheveux, les teindre en blonds… tout ça se passent au collège ? Ce n’était en tout cas pas mon collège à moi. Et c’est là que l’importance du public entre en jeu ; C’est quand la vraie vie ? est un romain Young adult alors que moi, du haut de mes 21 printemps, je lis plutôt du New adult. Le collège est loin pour moi, les codes ont changé et je n’arrive pas à m’identifier. 


Ce roman aborde donc les sujets qui peuvent définir la vie d’une ado, amours, collège, apparence, politique… et famille ! Parce qu’à la maison aussi, la vie bouge. Entre le père de Camille qui réapparait après une dizaine d’années d’absence et la mère d’Antigone qui ne rentre plus le soir, les drames familiaux occupent bien nos héroïnes. D’ailleurs, parlons en de ces parents : la mère est si blessée qu’elle rejette ses enfants et le père est si à l’ouest, que ce sont les grands qui deviennent les adultes. J’ai trouvé cela assez fort, Claire Renaud montre ainsi, peut-être de façon exagérée, que les parents sont avant tout des individus avec leurs propres failles et sentiments. 

On entre dans le roman avec une écriture bien particulière. La plume, poétique, est pleine d’emphases, elle est rythmée par une alternance entre phrases courtes et phrases nominatives, ce qui lui confère une impression toute théâtrale. L’autrice commence fort : C’est quand la vraie vie ? ne ressemble à rien de ce que j’ai lu, ce qui m’a au début bien décontenancée. Je trouvais que c’était trop, j’accrochais difficilement. Elle explique cela par le fait que notre héroïne, Antigone, s’inspire de son homonyme, la protagoniste tragique d’Euripide. Sauf que pour moi, Antigone c’est Anouilh, un de mes livres préféré et qui ne coïncide absolument pas avec l’écriture tragique de Claire Renaud. Au fil des pages, pourtant, elle se simplifie, se rapproche plus de notre façon de parler. Alors d’un côté, j’ai été soulagée, ma lecture était bien plus fluide, et de l’autre je me suis interrogée sur la raison qu’avait eu l’autrice d’écrire de cette façon au début du roman. 

En bref, je pense que je suis passée à côté de ce roman. La différence d’âge de public m’a empêchée d’entrer dans l’histoire comme il se doit. Néanmoins, l’histoire est sympa, l’écriture intéressante, les sujets nombreux et importants : ce roman plaira aux ados.