Premières lignes est un rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma Lecturothèque. Il s'agit de vous faire découvrir un livre en vous mettant ses premières lignes. Simple non ?
J'ai trouvé le principe plutôt sympa, donc quand l'envie m'en prendra, pourquoi ne pas le faire?
Ce genre d'article est pour moi l'occasion de vous partager certaines de mes lectures sur lesquelles j'aurais du mal à disserter longtemps ou des écritures qui m'ont particulièrement touchée, reconnaissables dès les premières lignes.
J'ai trouvé le principe plutôt sympa, donc quand l'envie m'en prendra, pourquoi ne pas le faire?
Ce genre d'article est pour moi l'occasion de vous partager certaines de mes lectures sur lesquelles j'aurais du mal à disserter longtemps ou des écritures qui m'ont particulièrement touchée, reconnaissables dès les premières lignes.
Prologue
Samedi 17 novembre 2012
– Jonas… T’es prêt ?
– Ouais, deux secondes !
Je m’appuie dos contre la porte de la salle de bains et pousse un soupir. J’entends maman courir partout entre sa chambre et le salon, très affairée. C’est bizarre, cette effervescence, cet enthousiasme. Papa et elle, on les croirait en train de se préparer pour une fête.
– Jonas, si tu sors pas, on va être à la bourre. Ils vont te tuer.
– Ouais, c’est bon !
La porte s’ouvre d’un coup et je tombe presque en arrière. Je me rattrape de justesse et me tourne vers lui, furieuse… avant de rester bouche bée devant son accoutrement.
– Nan, tu déconnes…
Mon frère s’est procuré le pull de leur organisation, la Manif pour tous, mais en version rose – pour les filles, donc. Version rose, et XXXL, ça lui tombe jusqu’aux genoux comme une robe et dévoile une de ses épaules osseuses. Je lève un sourcil jusqu’au plafond.
– Tu peux pas y aller comme ça, Jon, déconne pas. Et puis, ça fait carrément…
– Quoi, ça fait carrément quoi ?
Je me mords la lèvre, hésite. Plonge mes yeux dans les siens, d’un bleu très clair – à cette loterie-là, c’est lui qui a gagné, les miens sont du marron le plus banal.
– Ben… tu sais bien. T’as vu ton épaule ?
Il rigole.
– Ça les rendrait fous, hein ?
J’hésite encore, l’observant par en dessous à travers mes courtes boucles rousses indisciplinées.
– Jon. Tu me dirais, hein ?
– Je te dirais quoi ?
– Si tu l’étais.
– C’est si dur que ça de prononcer ce mot ?
Je m’empourpre.
– Non. Si tu étais gay. Voilà, je l’ai dit, t’es content ? Tu me dirais ?
Bien sûr qu’il me dirait. Les parents le tueraient, il aurait besoin de tout le soutien nécessaire. Il sait bien que je serai là quoi qu’il arrive. Il sourit, plus sérieux. Se penche sur moi et m’embrasse sur le front, comme il le fait parfois maintenant qu’il me dépasse – c’est injuste, c’est pourtant moi l’aînée, d’un an.
– Bien sûr que je te dirais. Bon, c’était juste pour déconner, tout ça. Je voulais leur faire peur.
Je ris un peu à mon tour.
– Ça marcherait sacrément bien, si tu veux mon avis…
– Ouais. Peut-être un peu trop.
Il retire le pull d’un mouvement adroit, dévoilant son torse nu un peu trop maigre, et me le tend.
– Tu veux le mettre ?
– Ça va pas non ? Jamais de la vie, je rigole encore.
Il se fait plus sombre.
– Je sais pas, ça a pas l’air de t’embêter plus que ça, d’aller à cette manif.
Je hausse une épaule.
– On n’a pas vraiment le choix, de toute façon. Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? Je m’en fous.
Il secoue la tête.
– De quoi tu te fous pas, hein ?
– Hé ! Va chier !
Je lui balance son pull à la figure et me détourne, furieuse. Tout le monde ne peut pas s’intéresser à ce genre de trucs, hein, la politique, l’écologie, comment on gère le monde… Il n’a que quinze ans, comment il peut paraître si sérieux, parfois !
Oh non, c’est une caméra que je vois là ? Il ne manquait plus que ça, qu’on passe à la télé. Je m’en fiche de faire partie de ce cortège d’excités, mais j’aimerais autant que personne du lycée me voie, c’est la honte assurée.
Les parents marchent devant, bras dessus, bras dessous. Je ne les avais pas vus aussi unis depuis des années. C’est drôle, ils n’avaient jamais manifesté de leur vie, avant. C’est fou qu’il ait fallu un truc aussi insignifiant que le mariage gay pour les indigner au point de les pousser à descendre dans la rue.
Jonas marche à côté de moi en balançant des vacheries sur tous les gens qu’on croise. « Regarde celle-là, avec ses souliers vernis et son serre-tête en velours, on la croirait tout droit sortie d’un couvent… Et celle-là… oh merde, c’est une vraie bonne sœur ! » Je rigole avec lui. Ça fait passer le temps.
Dans son mégaphone, une femme très remontée hurle les mêmes slogans depuis l’heure qu’on marche dans ce cortège de personnes de tous âges. Elle a l’air tellement énervée, elle aussi. Et c’est si entraînant, ces slogans, que je me suis surprise à les répéter par ennui, à un moment. Et je me suis sentie comme un sujet de laboratoire dont on serait en train de laver le cerveau, ça m’a fait un drôle d’effet.
Je m’ennuie et, comme toujours dans ces cas-là, je laisse mes pensées vagabonder. En ce moment, elles ont tendance à toujours aller dans la même direction – vers l’image d’un garçon grand, brun, charismatique, qui parle avec un fort accent anglais en vous regardant droit dans les yeux, il est tellement intense… ! C’est William, l’un des nouveaux – et j’ai trop de chance parce qu’il est dans ma classe. William a déjà fait un million de trucs de fou dans sa vie, comme la moitié d’un tour du monde avec ses parents en camion. Il joue de la guitare et il est beau comme un dieu, je ne suis pas la seule à le dire. J’ai hâte d’être à lundi matin pour retourner en cours – et ça, c’est un petit exploit, parce qu’en ce moment je n’ai pas vraiment envie d’aller moisir dans ma classe de première scientifique. Jonas m’a traitée d’imbécile quand je lui ai dit quelle orientation je choisissais. Il m’a dit d’arrêter de toujours faire ce que les parents voulaient. On s’est disputés très fort, et on s’est réconciliés devant une bonne série, les pieds sur la table et avec un énorme seau de pop-corn.
Jonas et moi, on est inséparables. On a beau se crier dessus à longueur de journée, c’est la moitié de moi-même, presque comme si on était jumeaux. C’est l’ancre qui me relie à la terre ferme quand j’en ai marre de tout et que j’aimerais vivre dans un de mes livres, ce qui m’arrive un peu trop souvent.
Je lui jette un regard en coin. Il marche avec un petit sourire, les mains dans les poches de son jean, le soleil venant jouer dans ses cheveux châtains. Il faudrait que je lui parle enfin de William. D’habitude, je ne garde pas mes petits secrets aussi longtemps. Et mon frère est toujours, toujours de bon conseil pour moi. C’est décidé, ce soir je lui raconte tout.
Jonas, de Lily Arcoeur,
Hugo New Way poche 2022
317 pages, 7,60€
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Je reviens doucement sur le blog, doucement dans la lecture aussi. Je ne me sentais pas capable de vous faire une chronique complète de Jonas, de Lily Arcoeur, mais je tenais à vous en parler dans le cadre du mois des fiertés, alors une semaine après la Pride de Bordeaux (à laquelle je n'ai pu assister) voilà mon avis sur un livre LGBT qui dénonce le harcèlement et encense l'amour.
C'est sur la table d'entrée de la bibliothèque que j'ai découvert ce roman ; il était un peu trop gros pour moi en ce moment, mais sa couverture verte m'a attirée. La quatrième de couverture est très secrète, on ne sait pas trop de quoi Jonas va parler, mais le synopsis de babelio a fini de me convaincre.
Je sais qu'habituellement, mes Premières lignes sont plus courtes, mais le prologue donne vraiment le ton du roman et je ne me sentais pas de le couper avant.
Dans ce prologue, on sent la relation entre Louve et son frère Jonas, pleine de bienveillance, d'égalité, de respect. Ce fut pour moi un grand enjeu dans le roman : comment la relation entre eux va-t-elle évoluer au vu des révélations après ce mois de novembre ?
On sent aussi le poids familiale qui repose sur les épaules de Louve : elle n'accepte pas les idées de ses parents mais ne se rebelle pas. Combien d'enfants se retrouvent dans ce cas ? Que doit-elle faire ? Comment se comporter ?
Comme je le disais, j'ai beaucoup de mal à lire en ce moment, alors je ne saurais dire si les longueurs du texte était dues à mon absence de concentration ou au texte lui-même, mais parfois, je n'avais tout simplement pas envie de me replonger dans Jonas. Je trouvais certaines idées scénaristiques trop faciles comme la relation entre Louve et Arthur, comment cela s'est-il produit au juste ? Et puis, j'aurais aimé plus de détails concernant Elsa ou les autres personnages secondaires tels que Eliott et Flore. Je pense en effet que leur présence aurait pu apporter beaucoup au personnage de Louve, et en même temps, leur absence montrait le huis-clos familiale dans lequel elle était enfermée, son impuissance à trouver des ressources.
J'ai donc lu ce livre dans le cadre du mois des fiertés et j'ai trouvé que Lily Arcoeur abordait avec justesse le coming out des personnages et les répercussions dans la vie quotidienne :
"Elle m’a dit qu’elle m’aimait « quand-même ». Ça change tout, ces deux petits mots. Parce qu’un jour on est un fils qu’on aime sans conditions, et le lendemain on n’est plus qu’un fils qu’on aime « quand-même »; malgré quelque chose. Et ce n’est pas à cause de quelque chose qu’on aurait faite. C’est malgré quelque chose qu’on est, comme une tare. Maman « m’aime quand-même », malgré ma tare, voilà ce qu’elle a dit".
On assiste, impuissant, au harcèlement scolaire que subissent certains personnages, la façon dont ils perdent leur lumière, et comment le malêtre les gagne de plus en plus. On suit l'évolution de pensée de Louve, mais aussi de ses parents, et c'est très intéressant ; c'est la première fois que je lis un livre où ce n'est pas le protagoniste qui est outé. Que j'arrive à bien m'exprimer : c'était intéressant car on voit les répercussions sur le personnage de Louve et en même temps j'étais parfois gênée : comment peut-elle en vouloir à son frère ? Certes son monde s'écroule, mais celui de Jonas, le héros éponyme aussi. Parfois, Louve m'agaçait énormément. Je pense que c'est un livre pour un public plus hétéronormé : comment combattre ses préjugés.
J'ai particulièrement apprécié l'épilogue, qui laissait la parole à Jonas et qui était juste sublime. Je ne voyais pas de meilleure manière de terminer ce roman que l'amour et l'acceptation de soi.
Avertissements :
(surligner pour voir, cela peut potentiellement divulguer l'intrigue)
propos homophobes, harcèlement, scarifications, outing
J'ai repéré ce livre à ma sortie et ce que tu en dis me tente vraiment pas mal :)
RépondreSupprimerJ'espère que tu aimeras :)
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